Un couple de français, l'un issu d'une famille parisienne, l'autre d'une famille venue du Maroc, s'interroge et note leurs impressions à propos des conséquences toujours présentes de la colonisation tandis qu'ils visitent le Maroc. Un film de Claude Camille Pérès Ecriture, réalisation, photographie, montage et composition sonore de Claude Camille Pérès 80 minutes Français, Anglais, Arabe 2023
J'ai beaucoup joué avec les seuils, finalement, dans ce film... Pour le travail sur l'image, je suis sans cesse allé et venu sur le seuil où tout à coup il y a une image, puis une succession d'images, une photographie, une séquence de film... Les passages sont multiples... Je crois avoir retourné la question dans tous les sens. Pour la composition sonore, de même, j'ai cherché à repérer le seuil où il y a de la musique là où il y avait jusque-là des sons, parce qu'il y a un rythme, une mélodie, qui émergent et s'installent ou des nappes et des notes... Mais pour le travail sonore, je n'ai pas voulu franchir ce seuil, je suis allé le taquiner à maintes reprises, de toutes sortes de façons, mais toujours en restant en deça... C'est-à-dire que les sons ne se laissent pas réduire à des notes et que s'ils viennent se répéter, ils n'imposent pas pour autant un rythme, etc... Ils restent avec toute la complexité de leurs qualités, leurs sincérités, si ce n'est à la toute fin, une allusion à la musique acousmatique. Le travail sur le texte va venir, pareil, chevaucher le seuil continu, transitionnel, où par ici, il y a des mots, des idées, des impressions et là il y a un texte, un bout de poésie, etc... Et puis, à la fin, il y a ce texte très écrit qui riposte à ce qui a été échangé précédemment... L'image, la composition sonore et le texte vivent séparément... Pour autant, ils n'en finissent pas de se répondre... C'est que, par ces échos, ces ripostes entre le texte et l'image, le son et le texte, etc., il y a comme des seuils de passage qui se multiplient aussi entre ces différents médiums... La question, qui tient de la philosophie comme de la politique, qui est posée est toute bête: A quel moment l'art, comme langage, recueille, documente; à quel moment ce qui est documenté est organisé, par exemple pour le donner à voir, entendre ou percevoir; et à quel moment l'organisation prend le pas? C'est aussi une histoire de passages... Ca me plait que des choses brutes, presqu'à peine recueillies et des choses tout à fait organisées se confrontent dans le son, dans l'image, dans le texte et entre eux... pour venir épuiser cette question. Après, je veux qu'il soit dit que, ces circulations, quoiqu'incessantes et multiples, restent discrètes... De prime abord, le film est très simple... C'était très important pour moi... Je ne dirais pas humble ou dépouillé... Ce serait moins fort... Mais, en tout cas, simple, oui, c'était l'exigence qui orientait mes choix, par exemple celui de ne pas franchir le seuil de la musique, parce que ça m'aurait paru beaucoup trop... Je ne sais pas le mot non plus... Pas simple, donc. Je ne sais pas si ce geste qui consiste à laisser les choses suivre leurs cours, sans rapport d'intérêt ou de prédation est déjà décolonial et écologique.
- Ça me fait de la peine quand j'entends des jeunes issus·es de l'immigration dire « vous, les français », comme si elles et ils étaient moins français·es. - C'est vrai, on dit « vous, les céfrans ceci ou cela ». - Ça en dit long sur l'ampleur du racisme et de la ségrégation dans le pays, si ça finit par être ancré que… - Les seules fois où je me sens français, c'est à l'étranger. La première fois qu'on m'a dit « vous, les français », j'étais en Allemagne. - Tu as ressenti quoi ? - Euh… Que j'étais convoqué à assumer un héritage que je trouve discutable. - On sait que quelqu'un vit là par les antennes paraboliques. - C'est une revanche pour toi de baiser des blancs ou alors une façon de t'assimiler, peut-être ? - Je t'ai déjà dit que tu poses des questions déplacées. - Je comprendrais le côté revanche, mais tu es trop doux, ça marcherait si tu étais vraiment, je ne sais pas, brutal… - Tu ne comprendrais pas le côté assimilation, alors ? - Si, aussi, bien sûr. - Je ne sais pas, non, ce n'est pas ça. C'est peut-être là quelque part… Je crois que j'étais attiré par les blancs parce que c'était les seuls exemples que j'avais sous les yeux en grandissant, c'est tout. - Comment tu sais qu'un melon est mûr ? - Il doit être très lourd dans la main et la queue doit être tout à fait détachée. - Et comment choisir un poivron, une corne ? - Vérifie la pointe. Ça pourrit par la pointe.